"Réussir le changement" : La contribution générale commune de Jean-Marc Ayrault et Martine Aubry (Partie 1/2)

Publié le par Martine Aubry 83

76ème Congrès du Parti Socialiste Toulouse, les 26, 27 et 28 octobre

 

Réussir le changement

 

Au printemps 2012, les Français ont choisi le changement.

 

Changement de politique. En élisant François Hollande, puis en donnant à l’Assemblée nationale la majorité aux socialistes et à leurs partenaires de gauche et des écologistes, nos concitoyens ont adhéré au projet de redressement dans la justice porté par le chef de l’Etat et le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, et dont nous avions posé ensemble les fondations lors de l'adoption de notre projet.

 

Changement de pratique politique. Le vote des Français de mai et juin 2012, c’est aussi le souhait d'un exercice des responsabilités soucieux de sobriété, d’efficacité, d’écoute, de dialogue, désireux d’agir avec le sens de la parole donnée et du long terme.

 

Changement aussi en Europe bien sûr, ou plutôt changement d’Europe. En décidant l’alternance, le peuple français, l’un des fondateurs de la construction européenne, a voulu lui donner un nouveau cours. La croissance qui crée des emplois au lieu de la récession et de la spirale du chômage, le sérieux financier contre les marchés, la protection des savoir-faire et des entreprises face aux délocalisations, la volonté politique face aux laisser faire des libéraux.

 

Changement de civilisation enfin, du local au global, avec la conviction que l’avenir se joue maintenant. A toutes les échelles, pour toutes les générations, se fait sentir l’impératif d’une réconciliation : entre l’humanité et la planète, entre l’urgence et le temps long, entre l’individu et le collectif, entre la technique et l’éthique. De cette espérance aussi, la victoire des socialistes français dans le pays de l’universel par excellence, est dépositaire devant l’Histoire.

 

Nous, militantes et militants socialistes, avons contribué collectivement à faire élire le changement. Il nous faut maintenant le faire réussir.

 

C’est une tâche immense, plus exaltante encore que la conquête des responsabilités, qui nous invite à prolonger pour le consolider le fil du socialisme démocratique, en partant du réel pour aller à l’idéal.

 

C’est une tâche fondamentale : nous devons tirer les leçons des expériences passées pour rendre l’alternance de 2012 plus fructueuse et plus durable à la fois. Inscrire la gauche dans la durée des suffrages et des réformes, c’est l’ardente obligation que nous devons aux Français qui souffrent de la crise et de ses dégâts, mais c'est aussi un devoir à l’égard de ceux qui nous ont devancés et des prochaines générations de militants qui pourront prendre appui sur nos succès pour en bâtir de nouveaux.

 

C’est à tracer et entamer ce chemin que doit être consacré le Congrès des socialistes à l’automne prochain.

 

 

I – Réussir le changement, c’est tenir nos engagements.

 

En 2012, les Français ont accordé leur confiance aux socialistes. Cette adhésion, chacune et chacun de nous l’éprouve comme un honneur et une responsabilité : l’honneur de porter l’espérance populaire et la responsabilité de la faire advenir dans la vie quotidienne.

La double victoire présidentielle et législative n’est pas seulement une victoire de la gauche contre la droite : elle est celle de la confiance retrouvée.

 

Confiance retrouvée dans la politique : en République, la véritable agence de notation, c’est le suffrage universel.

 

L’histoire des trente dernières années est le récit d'une dépossession du pouvoir  politique et de ses représentants par des institutions supranationales insuffisamment démocratiques au fonctionnement complexe et aux décisions lointaines, par des marchés financiers déconnectés au service des intérêts d’une minorité, par un commerce mondial sans règles. S’y ajoutent d’autres phénomènes, souvent agressifs, parfois positifs, qui ont remis en cause des solidarités collectives sans que d’autres ne viennent les remplacer : l’éclatement de la famille traditionnelle, la fragmentation du travail qui place les salariés sans protections collectives dans l’entreprise, la fin des grandes idéologies collectives qui laisse souvent place au nationalisme et au repli sur soi et même à l’intégrisme religieux et à l’obscurantisme. Cela rend urgent la construction d’une interprétation laïque du monde et de la destinée commune.

 

Face à cette tendance, l’alternance en France prend une signification toute particulière et même historique : après plusieurs décennies de dépossession du citoyen et d’affaiblissement de la puissance publique, elle marque le retour du volontarisme transformateur, celui qui permet aux femmes et aux hommes de choisir leur destin et de définir les moyens de l’accomplir.

 

2012, c’est aussi la confiance retrouvée dans le politique. L’affaiblissement de la parole publique est une autre caractéristique des dernières années. En témoignent l’abstention et la montée de l’extrémisme.

 

De cette dégradation démocratique, le sarkozysme est responsable pour une large part : es promesses furent si nombreuses, les annonces si peu suivis d’effets et les résultats furent si minces ! Quand « travailler plus pour gagner plus » se change en « chômer plus pour toucher moins », quand un Gouvernement dénonce les patrons voyous à la tribune des G20 et qu’il conforte leurs privilèges dans les lois de finances, quand le chef de l’Etat annonce la « France des droits de l’homme » et qu’il déroule le tapis rouge à Bachar-al-Assad le jour de la fête nationale, quand un pouvoir se promeut protecteur de la « France des usines » et qu’il les laisse être démantelées ou déménagées par des financiers, bref quand les mots disent l’espoir et les actes font le désespoir, les citoyens doutent non seulement de ce pouvoir-là, mais de l’action publique en général.

 

C’est à cet abaissement de la crédibilité politique que nous voulons mettre fin. Nous avons déjà commencé, en respectant quelques principes simples et forts. Ne jamais dire ce quine pourra être fait. Ne jamais rien cacher des efforts à consentir. Ne jamais accuser les autres – et d’abord nos partenaires européens – de nos propres manques ou manquements hexagonaux. Prendre des engagements précis. Définir les moyens en même temps que les fins. Agir dans l’opposition comme on le fera aux responsabilités. Ces exigences nous ont guidés lors de l’élaboration du contre-plan de relance en 2009, de la plateforme pour les élections régionales et de la réforme alternative pour la sauvegarde des retraites en 2010, des propositions pour le scrutin départemental et pour notre projet socialiste en 2011, pour les 60engagements du projet présidentiel de François Hollande en 2012 : un cap clair, des réponses innovantes aux défis du moment, des financements prévus du premier au dernier euro, un calendrier crédible, voilà comment la parole publique retrouve du crédit.

 

 

Nous avons retrouvé du crédit en portant aussi le bon diagnostic sur la France et l’Europe, le monde et le moment.

 

Diagnostic d’une crise qui n’est pas un aléa de circonstance ou un accident de conjoncture, mais le vacillement d’un système. Les égarements des traders ont révélé plus que l’épuisement d’une finance débridée. Ils ont levé le voile sur la vision du monde qui la sous-tend : la tyrannie du court terme et de la rentabilité immédiate, la mainmise de la finance sur l’économie réelle, la marchandisation envahissant toutes les activités humaines – l’eau, l’air, la santé, le vivant, la culture –, la confiscation du pouvoir par une nouvelle aristocratie d’argent.

 

Diagnostic d’une Europe qui s’est affaiblie dans la mondialisation parce que, si elle est parvenue à être un grand marché, elle a oublié d’être une grande idée. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, les pères fondateurs s’étaient retrouvés autour d’un pari : l’union des nations européennes les protégerait toutes des périls et elle offrirait à chacune la paix et le progrès. Le primat des gouvernements, majoritairement conservateurs dans la dernière décennie, et l’affaiblissement des institutions européennes, la Commission au premier chef, et se sont additionnés pour donner trop libre cours aux seules politiques libérales de marché. Faute d’ambition politique et sociale, la construction européenne a subi de plein fouet les effets d’une mondialisation dérégulée et les conséquences des dérèglements du capitalisme financier. Aujourd’hui, les peuples s’éloignent de la promesse européenne parce que celle-ci s’est éloignée d’eux.

 

Que l’Europe n’ait pas assez été protectrice pour les peuples, ne nous fait pas oublier que justement dans la mondialisation, face aux grandes puissances, anciennes et nouvelles, et aux entreprises multinationales, l’Union européenne nous donne une capacité d’action, par sa profondeur et sa dynamique, que nous n’aurions pas seuls, peut et doit être le continent régulateur face aux nouveaux défis planétaires : le changement climatique et ses dangers, la course au moindre coût avec ses dégâts humains et environnementaux, la crise alimentaire et le choc énergétique qui vont accroître la pauvreté dans les nations et les tensions entre grands ensembles régionaux, l’orientation éthique des bouleversements de la technique, la menace des intégrismes religieux et du fanatisme terroriste, etc.

 

Diagnostic, enfin, d’une France à la recherche d’elle-même. Ce fut le principal enseignement du tour de France mené tout au long de 2009, quand nous avons décidé de confronter, au plus profond du pays, nos convictions aux inquiétudes et aux attentes des Français. Les inquiétudes, ce sont celles des classes moyennes qui redoutent ou qui vivent le déclassement social – licenciement, difficulté pour se loger ou se soigner, angoisse face à l’avenir des enfants, à leur accès à un emploi, une formation, un logement. Les inquiétudes, ce sont celles des ménages modestes et des couches populaires qui craignent le basculement dans la précarité : elles sont les premières victimes de la vie chère, de la disparition des services publics, de l’insécurité ou de la ghettoïsation de la société. Dans notre société, le rapport à l'avenir est plus dual que jamais : d'un côté, il y a les personnes ou les groupes sociaux qui, inclus dans un monde en mutation, le vivent comme une opportunité où eux-mêmes auront leur place ; de l'autre côté, les individus – majoritaires même s'ils n'ont pas forcément conscience de l'être – qui se sentent fragilisés, relégués voire menacés dans le monde tel qu'il va, et n'imaginent d'avenir ni pour eux-mêmes ni pour leurs enfants.

 

En même temps, nous le savions et les Français nous l’ont confirmé à chaque étape de notre dialogue avec eux, la France a des atouts et il n’appartient qu’à elle d’en user. Sa géographie, sa langue, son histoire et sa culture, sa démographie, ses infrastructures, ses services publics, sa main d’œuvre qualifiée, sa jeunesse, ses créateurs et ses entrepreneurs, les ressources de ses territoires, ses technologies de pointe et sa recherche. Comment la nation a-t-elle pu se priver de tels ressorts au cours des dernières années, parfois depuis plus longtemps encore ? Les Français n’ont pas voulu un tel renoncement. Il est le fait d’une idéologie qui a consacré la loi du plus fort, fait de l’argent la mesure d’une vie réussie, confondu l’aspiration à l’autonomie avec l’égoïsme, identifié la modernité à la remise en cause des conquêtes sociales et cru au mirage d’une « mondialisation heureuse » car autorégulée.

 

Du tour de France du projet en 2009, au programme présidentiel de François Hollande en 2012, une même conviction nous a animés : le besoin de retrouver la France qu’on aime et l’envie de ré-enchanter le rêve français. Il y a un rêve américain, qui est un rêve de réussite individuelle et d’abord matérielle. Il y a un rêve français, qui récompense le mérite de chacun et le progrès de tous. La France, c’est l’égalité, le modèle social qui la porte et les services publics qui l’incarnent.

La France, ce sont des valeurs plus grandes que l’Hexagone : les droits de l’homme, la coopération européenne, l’aspiration à la justice et au développement partagé, et d'abord avec l'Afrique. La France, c’est la laïcité, qui accueille tous les religions pourvu que la religion n’excède pas le champ privé et qu’elle respecte le socle de nos valeurs communes. Pendant que la droite se perdait à exhumer une « identité nationale » qui rapetissait la France, les Français aspiraient à renouer avec l’identité républicaine qui inspire les peuples qui combattent l’oppression.

 

 

Nous avons montré qu’il est possible de moderniser nos réponses en portant haut nos valeurs.

 

La crise a donné raison aux analyses de la gauche. Après trois décennies marquées par le triptyque déréglementation-privatisations-délocalisations, l’urgence d’un nouveau cycle régulateur s’impose. Les conservateurs ont tort de considérer qu’il s’agit là d’une revendication hexagonale. Certes, en France, la gauche depuis plusieurs années et le Gouvernement depuis le printemps dernier, sont à l’avant-garde du combat pour ordonner, maîtriser et humaniser la mondialisation. Mais cet impératif mobilise bien au-delà de nos frontières.

 

C’est manifeste en Europe où socialistes et sociaux-démocrates ont rompu avec la tentation de la « troisième voie » en vogue à la fin des années 1990. L'idée d'un nouvel interventionnisme de la puissance publique et la volonté d'une construction européenne plus soucieuse de politiques concrètes pour les peuples que de procédures ou de normes favorables au marché, sont deux preuves d'une gauche de nouveau fière de ses valeurs et de ses réalisations. A cette évolution salutaire, le Parti socialiste français a apporté une contribution décisive.

 

En Europe, sous l’impulsion de François Hollande, cette évolution fait des émules bien au-delà de la gauche – à commencer par les dirigeants d’autres puissances économiques telles l’Italie et l’Espagne. Un même mouvement s'opère bien au-delà de l’Europe dans le monde. C’est vrai aux Etats-Unis où le président Obama fait prévaloir la croissance face à la finance et mobilise l’action publique pour protéger l’emploi industriel en misant sur les nouvelles technologies ou faire progresser les droits sociaux comme avec l’« Obama care ». C’est vrai dans de nombreux pays d’Amérique latine où gouvernants et sociétés civiles sont engagés dans la préservation des biens publics et la réciprocité dans les échanges commerciaux. Parmi plusieurs nations émergées – par exemple en Inde en matière de droits sociaux –, la nécessité de règles améliorant le sort de la population et les relations avec les autres grands ensembles de la planète commence à être prise en compte. Si la bataille n’est pas gagnée – la difficulté à faire progresser les protections dans le domaine environnemental et de la biodiversité le montre hélas –, elle est clairement lancée. Après un cycle néo-libéral entamé sous l’ère Reagan-Thatcher et amplifié depuis la fin des années 1970, la perspective d’un nouveau cycle, régulateur et protecteur, se profile. Il faut mesurer cette chance historique et ne surtout pas la manquer.

 

Les premières avancées ont été obtenues parce que nous avons hissé haut nos couleurs, celles du socialisme républicain. Ce bien commun remonte loin et prend appui sur des fondations solides. Les héritages spirituels et philosophiques, les héritages de l’humanisme du XVI e siècle, l’esprit des Lumières, le féminisme, cette histoire est celle de tous les Français, mais elle a une actualité permanente. Pour nous socialistes, elle se nourrit des combats de 1789 et de 1792, de l’insurrection populaire de 1848 et de l’abolition de l’esclavage, de la Commune de Paris et de la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l’Etat, du Front populaire, de l’Appel du 18 juin 1940, du Conseil national de la Résistance, ainsi que des grandes grèves et du mouvement de la jeunesse de 1968. A chaque fois, une même volonté, celle du peuple de se mobiliser pour la liberté sans laquelle rien n’est possible, l’égalité qui doit être réelle, la fraternité et la laïcité qui sont le ciment du pacte social.

 

Mais ce patrimoine n’est pas un musée : la constance dans les valeurs va de pair avec l’exigence d’actualisation des réponses aux temps et aux défis nouveaux.

Le défi premier, le défi vital, c’est le rapport à la planète elle-même. Raréfaction de l’eau, épuisement des énergies fossiles, déforestation, appauvrissement de la biodiversité, urbanisation incontrôlée : nous faisons comme s’il y avait une seconde Terre à investir une fois épuisées les ressources de celle qui nous accueille. Partout, périls écologiques et inégalités sociales se renforcent mutuellement. Ce constat, nous l’avons établi depuis plusieurs années maintenant et nous en avons fait l’un des socles du socialisme pour le 21e siècle. Dans la déclaration de principes adoptée en 2008, nous plaidons pour une économie sociale et écologique de marché. Dans le projet pour 2012, nous traçons les contours et fixons le contenu d’un modèle de développement assis sur les nouveaux compromis entre économie et écologie, justice sociale et démocratie. Ont été mises en évidence des solutions inédites pour concevoir, produire, consommer, échanger mieux. Ainsi, nous plaidons pour la diversification et la performance énergétiques, les circuits locaux pour l’agriculture et la pêche avec des clauses de proximité dans les marchés publics, le déploiement des transports collectifs décarbonés, une production industrielle et une construction de logement économes en énergie. Oui, le socialisme à venir est une social-écologie.

 

La planète est un tout : c’est un fait sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Bien sûr, ce phénomène est ambivalent. L’internationalisation des échanges et des entreprises, mais aussi celle des cultures et des technologies, sont porteuses de progrès et de développement pour les peuples. Reste que l’émergence de multinationales en apesanteur, financiarisées dans leurs objectifs, fragmentées dans leur capital, délocalisées dans leur production, remet en cause la souveraineté des Etats et des peuples sur l’économie. Retrouver la maîtrise sur son cours est indispensable. Plusieurs changements ont commencé. Nous portions depuis vingt ans l’idée d’une véritable taxation sur les transactions financières – nous attirant ainsi les sarcasmes de la droite : elle est en passe de voir le jour dans le cadre d’une coopération renforcée en Europe et elle permettra de renouer avec la souveraineté fiscale et d’en finir avec l’économie-casino. Nous avons inventé, nous socialistes français, la belle idée du « juste échange », dépassant le débat entre les deux impasses du libre-échange intégral et du protectionnisme autarcique. Cette idée simple et forte – organiser le commerce mondial dans le respect des règles et des normes sanitaires, sociales et environnementales – de la réciprocité commerciale doit être au cœur du combat multilatéral des prochaines années, notamment de nos discussions avec la Chine au sein de l'Organisation mondiale du commerce. Des premiers pas ont été faits : ce concept figure désormais en bonne place des textes des socialistes et sociaux-démocrates européens et, sous l’impulsion de la France, les communiqués des conseils européens y font référence.

 

La mondialisation a ébranlé les Etats nations, elle a aussi bousculé l’organisation du travail en leur sein. Le modèle classique des salariés accomplissant toute leur carrière dans la même entreprise est aujourd’hui révolu : chacun sait qu’il changera d’entreprise ou de métier  plusieurs fois dans sa vie. De cette mutation est née l’idée de créer une sécurité sociale professionnelle – matérialisée par un compte temps formation – qui permettra de reprendre les études interrompues prématurément, de rebondir pendant les périodes de chômage et de garantir à chacun une réelle progression professionnelle. C'est une ambition aussi élevée que celle de la Sécurité sociale au lendemain de la guerre. Autre transformation profonde et durable de nos sociétés : l’aspiration à la reconnaissance de l’autonomie individuelle. Elle n’est pas seulement le contrecoup de l’affaiblissement des solidarités ou des structures collectives sous l’effet de la crise. Elle est le prolongement des sociétés démocratiques où chacune et chacun entend être maître de son destin, ainsi que la conséquence de l’accès aux connaissances, aux opportunités et au monde. Elle nous a amenés à proposer une conception nouvelle de l’action publique conciliant les garanties collectives – sans lesquelles la société vire au conflit de tous contre tous et dont les plus modestes ou les moins instruits sont les victimes – et la personnalisation des droits et des services publics. C’est le sens de la réforme de l’éducation nationale qui vise, à travers les programmes, les rythmes scolaires, les activités périscolaires, la formation des professeurs, à apporter à chaque enfant les réponses les plus adaptées à ses difficultés, mais aussi à ses talents et à ses aspirations. C’est aussi, face au défi du vieillissement, la mise en œuvre de modes de prise en charge de la dépendance adaptés à la volonté et à la situation de chacun. Au-delà, c'est penser une société qui permette à chacun non seulement de bien vivre, mais aussi de bien vieillir. Au-delà de la nécessaire recherche permanente de la bonne utilisation de l’argent public, là est sans doute l’enjeu le plus fondamental de la réforme de l’Etat dont nous sommes porteurs.

 

Cette prise en compte des aspirations individuelles doit aller de pair avec la réaffirmation des devoirs : le respect des règles, le respect des autres qui permette la sécurité, la laïcité, la lutte contre toutes les discriminations. Et c’est parce que nous voulons rétablir l’exemplarité de l’Etat que nous sommes aujourd’hui les mieux placés pour faire respecter les règles du vivre-ensemble républicain.

 

Enfin, la ghettoïsation de la société, qui n’a cessé de s'aggraver depuis des décennies, est un autre mal français auquel nous nous sommes attelés. La ville devrait être un lieu de rencontre et solidarité, l’urbanisme des années 1950 a créé de l’isolement, de l’exclusion et du repli communautarisme. Rien ne serait pire que de nier cette réalité ou encore de faire comme si les violences urbaines de l'automne 2005 ne s'étaient pas produites. La carte des inégalités sociales tend à se confondre avec celle des inégalités territoriales, à tel point que les politiques sociales deviennent impuissantes si elles ne sont pas accompagnées de politiques urbaines. Pour y répondre, nous avons initié un travail sur la ville du 21ème, une ville dense et intense, où chaque quartier mêle les catégories sociales et les différentes fonctions de la vie : logement, santé, activités économiques, culture, sport. C’est un nouvel art de ville, avec la qualité partout – espaces publics, logements, équipements – pour un nouvel art de vivre.

 

Sociale-écologie de marché, juste échange, services publics personnalisés, urbanisme humain, etc., sont autant de chantiers majeurs pour les années à venir et qui dessinent les contours de l’après-crise. Ils nous mobiliseront bien au-delà du quinquennat qui s’ouvre. Nous devons en poser les jalons dès maintenant.

 

 

Préparer l’après crise, mais aussi, bien sûr, c’est un préalable, réussir la sortie de crise. 

 

C'est le sens des priorités claires que nous avons revendiquées, les 60 engagements de François Hollande. Ils seront tenus, malgré le lourd passif légué par dix ans d'errements de la droite et dont la gravité a été confirmée par la Cour des comptes.

 

C’est d’abord le redressement. Les efforts qui doivent être faits pour relever la France seront réalisés, sans confondre sérieux et austérité : le redressement sera financier, mais aussi productif, éducatif, social, environnemental. C’est ce qu’a réaffirmé notre Premier Ministre Jean-Marc Ayrault lors de sa déclaration de politique générale. Parce que, pour nous, l’emploi est la priorité des priorités, nous referons de la France une grande puissance économique. Il faudra pour cela remettre la finance au service de l’économie : nous le ferons en commençant par séparer les activités financières de spéculation et celles qui sont destinées à l’économie et à l’emploi ! Il faudra une nouvelle politique industrielle, qui protège et innove, qui soutient nos PME et aide à l’émergence, qui investit dans la recherche et les filières d’avenir : nous la bâtirons. La banque publique d’investissement régionalisée en sera le bras armé et l’épargne des Français sera dirigée vers les PME et les filières d’avenir. Il faudra soutenir l’emploi des jeunes : nous le ferons à travers la mise en place des contrats de génération et les emplois d’avenir. Il faudra combattre les licenciements abusifs : nous légiférerons pour y parvenir. Il faudra redonner du pouvoir d’achat : nous avons déjà commencé à agir avec la revalorisation de l’allocation de rentrée scolaire, un premier coup de pouce au Smic et le blocage des loyers dans les zones de forte spéculation ; nous la poursuivrons en réformant la fiscalité pour la rendre plus progressive, par exemple.

 

Le redressement sera aussi européen. Après d'innombrables « sommets de la dernière chance » qui n’ont pas pris la mesure des problèmes et n’ont ajouté de l'austérité à l'austérité, le sommet des 28 et 29 juin dernier a marqué un tournant. L’Europe apporte enfin les premières réponses à la crise de la dette et de l'euro. Avec François Hollande à l'initiative, les lignes ont bougé en Europe. Sur le fond – croissance et réduction des déficits sont deux objectifs qui doivent aller de pair –, comme sur la méthode – une pratique plus efficace de la relation franco-allemande au service du collectif européen –, l'Europe commence à être remise sur les rails de la solidarité et de l'avenir.

 

Des solutions ont été trouvées pour répondre à l'urgence, avec la possibilité pour le Mécanisme Européen de Stabilité d'aider directement les banques. Des décisions ambitieuses ont été prises pour la croissance et son financement avec le pacte de 120 milliards d'euros et avec la mise en place d’une taxe sur les transactions financières sous forme d’une coopération renforcée. Enfin, des perspectives de long terme ont été dessinées, sur les domaines bancaires, budgétaires, économiques et démocratiques, pour approfondir l'union monétaire et renforcer la solidarité budgétaire de l'Europe.

 

C’est une première étape, qui en appelle d’autres : l’objectif, c’est une Europe plus forte, plus sociale, plus écologique et plus démocratique ; la méthode c’est l’intégration solidaire. Dans les mois qui viennent, il faudra avancer vers des solutions durables à la crise des dettes souveraines, ce qui n'est pas séparable du renforcement de la convergence budgétaire. Nous devrons continuer de réorienter la politique commerciale de l’Union dans le sens du juste échange et de la réciprocité. Nous souhaitons avancer vers un véritable gouvernement économique de la zone euro capable de promouvoir une croissance durable et de créer des emplois. Cela impliquera de répondre à des questions majeures sur les différents cercles d'adhésion, sur le niveau du budget communautaire qui doit enfin disposer d’une vraie force d'intervention digne de ce nom ou sur le fonctionnement des institutions à rapprocher des citoyens. Le principe général est clair : chaque pas en avant vers plus de solidarité impliquera le respect de principes d'action partagés et un surcroît de contrôle démocratique.

 

L’action européenne ne sera légitime et comprise par les citoyens que si un travail réel d’approfondissement de son fonctionnement démocratique est entrepris. L’Europe souffre non pas d’un excès mais d’un déficit de politique et de démocratie. L’Allemagne a fait des propositions, à nous de porter les nôtres, pour le Parlement, pour la Commission, pour l’élection éventuelle d’un Président de l’Union. Les socialistes seront plus forts, si leurs propositions sont d’abord débattues avec les autres partis socialistes européens, au premier rang desquels le SPD allemand, et présentées ensuite, si possible, au nom de tous.

 

Le chemin du redressement, nous l’emprunterons avec une exigence permanente de justice. Elle sera remise au cœur des décisions, en commençant par la justice fiscale : la TVA Sarkozy sera supprimée, les plus gros patrimoines et les plus hauts revenus seront sollicités, le capital contribuera au moins autant que le travail. Les classes populaires et moyennes seront prioritairement protégées, tout comme les PME et les TPE. Justice sociale aussi, amorcée par la retraite à 60 ans pour les salariés qui ont exercé les carrières les plus longues. Justice territoriale enfin, avec un nouvel acte de la décentralisation. Elle consistera à octroyer plus d'autonomie et plus de responsabilités aux collectivités territoriales – notamment aux Régions et aux intercommunalités, à simplifier leurs relations et leurs compétences, à garantir la péréquation entre les territoires et en leur sein, à donner aux acteurs sociaux et aux citoyens une plus grande capacité d'évaluation et de participation. Justice en tant qu'institution, enfin : nous garantirons l'indépendance de tous les magistrats et de tous les tribunaux. Déjà, le Gouvernement n'intervient plus dans les dossiers individuels. Mais nos concitoyens attendent aussi légitimement que l'accès à la justice de proximité soit facilité, c'est-à-dire simplifié et accéléré. De même qu'ils souhaitent que les peines prononcées soient effectivement exécutées et les prisons conformes à nos principes de dignité.

 

Le redressement dans la justice, c’est aussi le levier du progrès retrouvé. Aujourd’hui, les Français sont inquiets et même angoissés. Ils attendent de ceux auxquels ils ont confié leur destin qu'ils suivent le chemin qu'ils leur ont proposé pour sortir de la crise, sans se préoccuper des polémiques entretenues par l'opposition ni des commentaires des « sachant médiatiques ». L'aspiration commune et le lien entre les générations, les situations, les territoires, les origines résident dans la possibilité que demain soit meilleur qu'aujourd'hui, et d'abord pour la jeunesse. Il n’y pas de société qui tienne sans cet espoir, il n'y a pas de France sans ce rêve français. C'est la conviction magnifique portée par François Hollande lors de l'élection présidentielle. A nous, autour du Président et du Premier ministre, de la mettre en actes. Ainsi serons-nous fidèles à notre histoire et aux militants qui nous ont précédés. C'est l'attachement à la justice qui est la marque du socialisme démocratique. A chaque fois que la gauche a exercé le pouvoir national, ce fut une avancée pour les droits individuels et les libertés publiques. Le quinquennat qui est engagé en sera la confirmation :égalité entre les femmes et les hommes, droit au mariage et à l'adoption pour tous les couples, nouvel acte de l'exception culturelle française, part de proportionnelle aux élections législatives, non-cumul des mandats, droit de vote pour les étrangers en situation régulière aux élections municipales. L'honneur d'exercer la conduite de la nation n'est pas séparable de la volonté d'être nous-mêmes : des républicains qui veulent réenclencher la marche du progrès.

 

 

II – Réussir le changement, c’est mobiliser la société.

 

 Notre pays a besoin d’un cap clair pour l'immédiat comme pour le long terme. Il a besoin d’une mobilisation de toutes les forces du pays. Ce défi est celui de la démocratie elle-même. Encore faut-il la concevoir dans toutes ses dimensions : démocratie politique donc représentative bien entendu, mais aussi démocratie sociale, économique, culturelle, territoriale. La démocratie jusqu’au bout à laquelle aspirait Jaurès, voilà plus d’un siècle est une invitation à l’audace et au partage : l’audace de rendre possible ce qui ne l’était pas, le partage du pouvoir avec les citoyens, les partenaires sociaux, les créateurs, les autres Etats européens, la communauté internationale et ses acteurs.

 

 

Pour nous, redisons-le, la démocratie est d’abord représentative.

 

Qu’elle soit en crise – pourquoi le nier quand tant de nos concitoyens ne se rendent pas aux urnes - ne doit pas nous conduire à l’oublier, mais à œuvrer pour lui redonner son crédit et sa grandeur.

 

Il fallait pour cela commencer par rompre avec les années Sarkozy, celles d’un seul homme qui décidait de tout, partout, tout le temps et pour tous. Son Premier ministre n’était qu’un collaborateur, ses ministres sous tutelle des conseillers à l'Elysée, le Parlement une chambre d’enregistrement. La justice devait obéir aux ordres du pouvoir politique, et les médias ne pas fâcher celui-ci. Ces temps sont révolus. Nous avons retrouvé une pratique normale des institutions, avec un Président qui préside et un Premier ministre qui gouverne réellement, une indépendance des médias et de la justice respectée. Durant le quinquennat, de grandes réformes inscriront ces évolutions dans notre droit : réforme du statut pénal du chef de l’Etat, renforcement des pouvoirs d’initiative et de contrôle du parlement notamment sur les nominations, réforme du Conseil supérieur de la magistrature et des règles de nomination et de déroulement de carrière des magistrats.

 

 

Redonner confiance dans la politique suppose aussi le rassemblement. 

 

Nous savons bien – certaines évidences sont bonnes à rappeler – que sans lui, rien n’est possible. Il n’est jamais acquis, il faut donc en permanence le vouloir et le consolider. Rassemblement des socialistes : c'est le préalable.

 

Rassemblement de la gauche et des écologistes aussi : il est indispensable. Elections municipales, élections régionales, élections cantonales, conquête du Sénat furent le ciment de nos victoires présidentielles et législatives. Celles-ci seront le socle de nos succès futurs. Plus grande est notre force du moment et plus large doit être notre hospitalité à l’égard de la gauche dans sa diversité : dès lors que la solidarité prévaut, le débat est un sain questionnement. Laissons à la droite le caporalisme, cette gouvernance d'un autre âge. Les Français aiment que la gauche discute, pas qu'elle se divise : telle est la ligne de crête que chacun doit respecter.

 

 

Nous devons aussi œuvrer au rassemblement des socialistes et des sociaux-démocrates européens.

 

Si nous considérons que l’Europe vaut mieux qu’un vaste marché sans règles, alors nous devons l'organiser pour qu'elle soit cohérente à l'intérieur de ses frontières et puissante en dehors. C’est un immense chantier pour le Parti socialiste que nous avons engagé ces dernières années.

Il supposait de développer des convergences avec nos principaux voisins : nous avons signé un accord programmatique décisif avec le SPD et d’autres devront suivre dans le futur, avec le PSOE espagnol ou encore avec le PD italien.

 

Autre impératif : doter le PSE d'un socle idéologique. C’est chose faite avec la déclaration de principes adoptée en 2011. Dans la crise, il fallait concevoir des réponses communes, efficaces et innovantes. Plusieurs sont en passe de voir le jour, malheureusement avec un retard coupable dû à l'immobilisme et au dogmatisme de la droite européenne. Le mécanisme européen de stabilité, la taxe sur les transactions financières, les « project bonds », à chaque fois, les conservateurs européens écartaient nos propositions d’un revers demain, pour finalement s'y rallier. Nous avons beaucoup d’autres batailles à gagner, faisons progresser ces idées au sein du PSE et notamment lors du congrès de l’automne.

 

Préparons-nous aussi dès maintenant au grand rendez-vous des élections européennes :il est majeur. Fixons-nous pour objectif l'élaboration, avec nos partenaires, d’un projet commun des socialistes européens : pour la croissance, l'emploi, l'investissement productif et écologique ; pour l'harmonisation fiscale et sociale ; pour la réciprocité commerciale ; pour l'intégration politique fondée sur une nouvelle synthèse entre solidarité et souveraineté. Unetelle orientation matérialisée par un document sur lequel pourront se prononcer tous les citoyens de l'Union le même jour aura une force populaire capable de faire refluer le torrent du populisme. Nous présenterons un candidat commun à tous les socialistes européens pour la présidence de la commission européenne [avec, s’il y a plusieurs candidats à départager, des primaires européennes, ce serait un grand moment de démocratie]. Au lendemain de notre Congrès, nous proposerons au PSE que soient organisées des Assises du changement en Europe, auxquelles chaque formation nationale sera invitée à contribuer et dont la synthèse constituera notre projet partagé pour l'échéance de 2014.

 

Dans cette perspective, le Parti socialiste français doit être à l'initiative : c'est pourquoi nous proposons que 25 % des moyens du siège national de notre parti soient affectés à ce chantier et, au-delà, à notre rayonnement au sein du PSE. Nos secrétaires nationaux développeront chacun la dimension européenne de leur action en liaison avec le PSE. Nous agirons pour développer le militantisme européen, même si nous pouvons déjà nous réjouir de l’implication du PS : près de la moitié des activistes du PSE sont français. Et comme l’argent est le nerf de la guerre, nous proposerons de doubler les moyens du PSE.

 

 

Mais il ne peut y avoir de réformes durables et justes sans s’appuyer sur les corps intermédiaires.

 

La droite les a fustigés et affaiblis, nous voulons les réhabiliter et les remobiliser.

 

Cela commence par l’écoute, le dialogue, la concertation et la négociation. C’est notre culture autant que la condition de la réussite. Nous, nous sommes heureux de débattre avec les syndicats et les associations, alors que M. Sarkozy les a montrés du doigt, en prononçant des paroles qui n'auraient jamais dû sortir de la bouche d'un chef de l'Etat.

 

Il est impératif de conforter les acteurs sociaux. En les associant aux grandes orientations sociales du quinquennat – emploi, formation, rémunération, égalité professionnelle, redressement productif, retraites, financement de la protection sociale – avec la conférence de juillet et les négociations qui suivront. En intégrant des représentants des salariés dans les conseils d’administration et dans les comités de rémunération des grandes entreprises. En développant le dialogue social, à tous les niveaux, y compris territorial.

 

Conférence sociale mais aussi conférence environnementale, consultation sur l'éducation, assises de la recherche, décentralisation : le dialogue est aujourd’hui partout et avec tous syndicats, associations, ONG, collectivités locales. Avec les grands partis politiques, aussi, qui ont été reçus par le Président de la République en amont du sommet duG20 et de Rio+20, et qui le seront à chaque fois que d'importantes décisions devront être prises.

Publié dans France

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